Les missions habitées

Les missions habitées...

Sur le plan astronautique les missions robotiques sont devenues presque routine, que ce soit pour descendre sur Mars un laboratoire fixe ou mobile, ou pour placer un satellite sur orbite. Pour ce qui est des vols habités, c’est une autre histoire mais Elon Musk nous permet d’espérer.

 

En fait le problème est avant tout un problème de masse. De nombreux lanceurs construits dans le monde sont aujourd’hui capables d’envoyer quelques kilogrammes en orbite martienne ou en surface de Mars. Une fois placé un orbite, faire fonctionner un satellite (un « orbiteur » comme on dit) apparaît relativement facile, contrôler une « EDL » (pour « Entry, Descent, Landing ») jusqu’à la surface de Mars est nettement plus délicat. Jusqu’à présent seuls les Américains y sont parvenus et pour une masse maximum d’une tonne (Curiosity). C’est bien pour une mission robotique ; c’est insuffisant pour une mission habitée. Dans son architecture « Mars Direct », Robert Zubrin a calculé qu’il faudrait pouvoir descendre en surface au moins une quarantaine de tonnes, ou plutôt deux fois 20 tonnes (une première mission, robotique, pour préparer la seconde, habitée, notamment en produisant l’énergie nécessaire au retour, par utilisation des ressources locales).

Ces contraintes impliquent (1) de pouvoir extraire du puit de gravité terrestre et jusqu’à une orbite basse terrestre (« LEO »), environ 130 tonnes (comprenant les 20 tonnes à descendre) et (2) de disposer des moyens de freiner suffisamment la masse à descendre en surface. On a su faire des lanceurs lourds pouvant placer 130 tonnes en LEO (Saturn V du programme Apollo), on sait moins descendre les 20 tonnes en surface. Jusqu’à présent la solution était d’utiliser un mixte de dispositifs variés pour le freinage : bouclier thermique (éventuellement gonflable pour lui donner une plus grande surface), parachute, ballute, airbag ou rétrofusée pour les derniers mètres, afin d’utiliser au maximum les avantages de Mars c’est-à-dire la présence d’une atmosphère.

BFR Version 2Avec sa technique de récupération / réutilisation développée sur ses Falcon-9 et sur Falcon-Heavy, ainsi qu’avec son projet de BFR, Elon Musk a changé tout cela. Désormais on peut envisager la descente par rétropropulsion d’une centaine de tonnes au travers de toute l’atmosphère de Mars (un peu plus d’une centaine de km d’épaisseur). Et on peut envisager ce mode de descente freinée parce qu’Elon Musk a eu l’audace de concevoir (1) la mise en service d’un énorme vaisseau (le BFR version 2 peut placer 150 tonnes en LEO) ; (2) le réapprovisionnement en carburant / comburant du second étage du lanceur en orbite, avant l’injection trans-martienne, de telle sorte que les réservoirs soient à nouveau pleins après la consommation énorme nécessitée par la mise en LEO (95% du total des ergols emporté de la surface terrestre) ; (3) la descente par rétropropulsion maitrisée selon le même principe que celui développé et démontré par le retour sur Terre des premiers étages des lanceurs Falcon après qu’ils aient effectué leur mission. Bien sûr le BFR n’est encore qu’un concept mais la réussite du lancement du Falcon Heavy et le retour de deux sur trois de ses lanceurs fait espérer qu’il soit possible (et le nouveau moteur « Raptor » a été testé avec succès).

A noter que des missions habitées seraient déjà possibles (bien que « spartiates », avec plus de deux vols et en laissant un ERV – Véhicule de Retour sur Terre - en orbite martienne) avec le Falcon Heavy. Aussi bien Robert Zubrin que Jean-Marc Salotti vous le démontreront si vous venez écouter leurs versions actualisées de « Mars-semi-direct » à EMC18.

Bien entendu pour un voyage de cette durée (six mois de voyage pour aller, six pour revenir et 18 mois sur place compte tenu de l’évolution de la position des planètes l’une par rapport à l’autre) le lanceur n’est pas tout. Un élément très important est le support vie. Un autre est la protection contre les radiations spatiales.

Pour le support vie, des techniques d’ECLSS (Environment Control & Life Support System) sont étudiées et expérimentées depuis des années, notamment MELiSSA (Micro Ecological Life Support System Alternative) ou ESTEE (Earth Space Technical Ecosystem Enterprises). Cela implique le recyclage des gaz, des liquides et des solides mais aussi le contrôle des microbiotes à l’intérieur du microbiome relativement petit (pas d’effet tampon !) que constituent un vaisseau spatiale ou une base sur Mars. On peut dire que c’est difficile (un spécialiste italien, le Professeur Alberto Bemporad, a comparé le contrôle du microbiome au pilotage d’une voiture de course !) mais que des progrès importants ont été faits qui limitent pour des quantités importantes, les masses à emporter avec soi, avec l’avantage supplémentaire que sur Mars on pourra utiliser l’eau locale et des éléments chimiques locaux qu’on pourra combiner (moyennant un peu d’énergie solaire, locale, et/ou nucléaire, importée) pour obtenir des produits nécessaires à la purification, à la stabilisation de l’environnement ou à la production d’aliments sous serres.

La protection contre les radiations est un sujet difficile. On peut se protéger des orages, SPE (pour Solar Particle Event), de particules solaires, SeP (Solar energtic Particles) car ce sont des protons et que les réserves d’eau et de nourriture, riches en eau, en contiennent beaucoup (hydrogène). Lorsqu’un de ces SPE surviendra, les voyageurs pourront s’abriter dans des caissons entourés de leurs réserves d’eau et cela freinera suffisamment les protons. Il n’en est pas de même pour les radiations galactiques (GCR) de masse atomique élevée (HZE). Elles sont peu abondantes mais traversent tout. Il n’y a rien à faire sauf à aller d’un endroit abrité (la Terre) à un autre (Mars) aussi vite que possible. En temps de croisière normal, quand il n’y a pas de SPE, un gilet de type « AstroRad (société StemRad) sera adéquat pour contrer le flux normal de protons. Une fois sur Mars le danger n’est pas du tout le même puisque le niveau des radiations reçues est équivalent à celui qui a été constaté dans l’ISS et qu’en plus on peut se protéger. Personne ne souhaite être irradié et les doses doivent être aussi basses que possible (ALARA). Si l’on veut ne prendre qu’une dose de radiations cumulées « acceptable », un voyage de six mois sera supportable, quatre voyage de six mois probablement pas. Il faudra donc raccourcir au maximum le voyage, mais ce sera au détriment de la masse utile (payload) transportée. Elon Musk envisage de descendre de six à quatre mois la durée du transport des hommes tandis que les vaisseaux cargos pourront « prendre leur temps » (entre 6 et 9 mois).

Prix d'un lancementVous aurez remarqué que je ne parle ni de l’ESA ni de la NASA. La raison en est (1) que l’ESA n’a pas les moyens et n’est pas intéressée par les vols habitées dans l’espace profond (pour moi aller sur la Lune n’est pas « voyager dans l’espace profond ») et (2) que la NASA a pris du retard en technologie astronautique par rapport à Space-X et ne parvient pas à mettre au point son lanceur lourd propre, le SLS (Space launch System). C’est en 2006 que le concept a été lancé (l’Ares du programme Constellation) alors que le concept de Falcon Heavy n’a été annoncé qu’en 2011 et qu’aujourd’hui il existe et vole!

Je parie que ce sera donc Elon Musk qui posera la première fusée habitée sur Mars. Maintenant, l’économie d’échelle étant le moyen de faire baisser le coût des voyages pour les rendre acceptables sur le plan financier, toute diversification d’objectif consommatrice de lanceur lourd (la Lune par exemple) sera la bienvenue...pourvu qu’elle n’occulte pas et ne fasse pas oublier l’objectif Mars !